Accéder au contenu principal

Les mythes

Le mot « mythe » vient du grec « misthos » signifiant le discours. Les mythes sont inscrits dans toutes les cultures et présentent un grand nombre de traits communs, tant par leurs thèmes que par leur trame narrative et leurs personnages. La structure de l’esprit humain facilite l’émergence de symboles, rêves et rites similaires. L’Homme a besoin d’histoires pour vivre. Il projette ce qui se passe après la mort, fantasme sur des héros et bâtit des légendes. Il est conscient du temps qui passe au travers de la mort, alors il se rassure en donnant du sens au temps. Il a un talent remarquable pour interpréter, imaginer, construire et donner du sens à ce qui l’entoure. Selon Umberto Eco, l’Homme modifie et façonne par ses créations intellectuelles un monde réel qui ne lui plait pas. Percer les mystères de la création du Ciel, de la Terre et de l’Homme, et définir sa place dans l’univers semblent être une préoccupation commune à l’humanité.

Les chercheurs se divisent sur la naissance des mythes. Faut-il y voir une prédisposition innée inscrite dans le cerveau humain ou une fonction sociale instaurant une mémoire collective construite sur des rites et des institutions ? La quête de sens est probablement à l’origine des mythes servant à expliquer des phénomènes que l’Homme ne comprend pas. Le mythe renvoie à une réalité abstraite, non représentable. Il implique d’avoir développé une aptitude à la pensée symbolique. Les mythes sont des histoires sacrées, car ils font interagir une force extérieure et sous-entendent un acte d’obéissance. Ils se développent en parallèle de la spiritualité.

Selon Michael Witzel, professeur de Sanskrit à Havard, tous les mythes auraient une origine commune vieille de 65.000 ans. Tous les mythes suivent le même enchaînement : création du monde, séparation du ciel et de la terre, création des hommes, orgueil des hommes, déluge, nouveau départ de l’humanité, fin du monde. Cette storyline est commune à toutes les mythologies américaines, européennes et asiatiques. Elle diffère de celles d’Afrique et d’Océanie. Cette différence serait due à la dérive des continents.
Les mêmes personnages se retrouvent dans tous les mythes. Le héros accomplit des exploits. Le guide enseigne des choses au héros. Des alliés l’aident. Ces derniers trouvent la mort ou sont en quête de rédemption. Les gardiens de seuils permettent au héros de voyager entre les mondes, les vies, les époques. Il s’agit d’une étape nécessaire à la maturation du héros. Les monstres le combattent. La quêté échoue systématiquement si le héros agit par orgueil. A l’inverse, elle réussit s’il lutte pour que le bien triomphe et que le chaos soit repoussé.
En 2006, Adrienne Mayor de l’université de Stanford explique que certains monstres de mythes, tels que les dragons et les griffons, sont inspirés par des fossiles ou des squelettes de dinosaures. Le désert de Gobi contient de nombreux fossiles de protocératops dont les ossements affleurent à même le sol. Les Hommes de l’époque ignorent l’ancienneté des squelettes qu’ils découvrent. Les Grecs et les Romains les étudient et parfois les vénèrent dans leurs sanctuaires comme les reliques d’un passé mythique. Les serpents de mer peuvent évoquer certaines créatures marines qui existent réellement. Par exemple, le régalée est un poisson pouvant mesurer jusqu’à huit mètres de long. Il est longiligne et argenté avec une nageoire dorsale rouge. Il vit dans toutes les mers du globe.

La Bible suit un schéma identique à celui des mythes. Les incohérences, de contradictions et d’anachronismes révélés par l’histoire et l’archéologie amènent les spécialistes à considérer que chaque livre de la Bible est une mosaïque d’œuvres composées à des époques différentes avec des objectifs politiques et religieux différents. Les différents livres de la Bible hébraïque sont rédigés dans les royaumes de Juda et d’Israël entre le –IXe et le –IIe siècle. Des similitudes avec des textes phéniciens se retrouvent avec l’évocation du Baal, El ou Yahvé. La domination assyrienne du –VIIIe siècle et ses traités de vassalité se retrouvent dans le Deutéronome, où Yahvé en souverain impose un traité à ses fidèles. La naissance de Moïse ressemble à celle du roi Sargon. La déportation à Babylone des Juifs en -587 leur permet d’entrer en contact avec les mythes mésopotamiens, de se les approprier et de les transformer à leur convenance.

Le déluge est le mythe est le plus répandu sur Terre. Il fait passer l’Homme d’un temps fabuleux au temps historique. Il définit la condition humaine et son rapport au divin. Le personnage de Noé est présent dans les trois religions monothéistes. Il s’inspire du mythe sumérien Uta Naphistim (Atrahasis le Supersage), rédigé vers -1640 et reprit dans l’Epopée de Gilgamesh. Les deux récits possèdent le même schéma : une divinité courroucée par l’attitude de l’homme décide de les anéantir en provoquant un déluge. Elle choisit un élu accompagné de sa famille pour donner une seconde chance à l’humanité. Dans la mythologie grecque, Zeus provoque un déluge. Deucalion est averti par son père le titan Prométhée et construit une arche.
Les mythes du déluge s’inspirent de catastrophes naturelles réelles (inondations, tsunami). L’Homme explique un phénomène qu’il ne comprend pas et cherche à se rassurer en disant qu’il s’agit d’évènements extraordinaires. Les changements climatiques ont modifié la carte des mers, lacs et fleuves. De nos jours, le mythe du Déluge demeure très vivace avec la fonte des glaces et la montée des eaux.

Les mythes sont employés à des fins politiques. Les mythes fondateurs construisent l’identité d’une société. Ainsi Auguste demande au poète Virgile de raconter les aventures d’Enée de la chute de Troyes jusqu’à son arrivée dans le Latium. Enée, ascendant de Romulus et Remus les fondateurs de Rome, a un fils nommé Julius, ayant donné son nom à la famille des Julii dont est issu Auguste. Ce fil généalogique prouve la légitimité du nouvel empereur qui s’insère dans la continuité de l’histoire de Rome. Les peuples germaniques, succédant aux Romains, s’inscrivent à leur tour dans l’histoire en s’inventant des ancêtres troyens pour les mêmes raisons politiques qu’Auguste plusieurs siècles auparavant. Henri Ier de France dit descendre de Priam de Troie, tandis que son rival Henri Plantagenêt, dit descendre du roi Arthur, dont le royaume s’étendait sur les îles britanniques, l’Armorique et l’Aquitaine. Au XIXe siècle, la IIIe République s’approprie les Gaulois pour se légitimer face aux monarchistes. L’Allemagne des années 1920 et 1930 se passionne pour les Vikings, les descendants des aryens.

De nos jours, les mythes n’ont pas disparu. Ils sont toujours présents sur nos écrans et dans nos livres. Certains sont revisités et d’autres sont créés. Les mythes modernes ont tous le même schéma narratif. Un homme providentiel est appelé pour une aventure durant laquelle il accomplit une série de péripéties avec l’aide d’un mentor et de ses compagnons. Il atteint son objectif, acquiert un savoir et revient chez lui pour changer le sort de ses compagnons. Ce schéma est celui suivi par les séries Star Wars, Harry Potter et Le Seigneur des anneaux. Les personnages sont toujours les mêmes : un héros, un mentor, des alliés, un personnage maléfique avide de pouvoir. Les thématiques sont similaires à celles des mythes antiques : l’enfant abandonné (Sargon II, Moïse, Superman) ou les frères se livrant une lutte fratricide (Romulus et Remus, Anakin et Luke Skywalker).
Les mythes ont un impact et une diffusion plus importants grâce à la télévision, au cinéma, aux livres et aux jeux vidéos. Par conséquent, les receveurs sont plus exigeants et demandent une plus grande sophistication de l’univers dans lequel évoluent les personnages. Ainsi, le film Avatar de James Cameron met en scène tous les aspects d’une société extra-terrestre : un système économique basé sur le troc, une langue créée de toutes pièces comprenant 1.400 mots, une faune et une flore riches. Par ailleurs, les spectateurs s’emparent des histoires pour écrire leurs propres versions ou les poursuivre et les diffuser sur internet.
Les mythes actuels traduisent toujours un besoin de merveilleux. La science-fiction est supplantée par le genre fantasy. L’Homme est devenu méfiant vis-à-vis de la science. Il a besoin de s’échapper d’un monde de haute technologie et de retrouver un univers plus archaïque et proche de la nature.

Sources
Texte : « L’origine des mythes », Les Cahiers de sciences et vie, n°147, août 2014, 96p/
Image : tpe.madmagz.com

Voir les articles
Les mythes grecs


Commentaires

Les articles les plus consultés

Lilith, la première femme de la Bible et d'Adam

Avez-vous d é j à lu la Bible? En entier? Peu l'ont fait! Au moins la Gen è se alors! La Gen è se? Mais si, le d é but, l'intro' ! Lorsque Dieu cr é e le ciel, la terre, les ê tres vivants et enfin l'homme Adam! Enfin, Adam et È ve... Vous connaissez cette histoire et souvent peu le reste. Lorsque je discute de la Bible avec des amis ou des é l è ves - pas toujours ignorants du fait religieux - je remarque souvent un ab î me d'ignorance de l'histoire biblique comme si on passait directement d'Adam à J é sus. Ah si: les gens connaissent aussi Abraham et Mo ï se. J'ai toujours aim é le d é but des histoires. La Bible ne fait pas exception. Je ne sais pas combien de fois j'ai pu lire et relire la Gen è se. Et puis un jour, un passage m'a turlupin é . Le sixi è me jour, Dieu d é cida de remplir la terre d'animaux, d'oiseaux et de bestioles. Puis, il est é crit: Chapitre 1: 26 Dieu dit : « Faisons l ’ homme à notre image, se

Alexandre le Grand homosexuel ? Le doute Hephaestion

Il est un fait, sur la possible homosexualité d’Alexandre, qu’il faut relever immédiatement. De toute sa vie, aucun acteur privilégié, c’est à dire proche du conquérant – et ils sont nombreux -  n’a jamais affirmé ou constaté de visu le voir pratiquer une relation sexuelle avec un autre homme. Cependant aucun non plus n’affirme qu’il n’en a jamais eue. La seule énigme tourne autour du seul et même homme avec qui il partage très souvent son quotidien: H é phaestion. Savoir si ces deux hommes ont un jour ou l’autre sauté cette fragile frontière qui sépare la grande amitié de l’amour restera pour l’éternité en suspens… du moins pour le moment ! Il faut s’attarder un instant sur l’ami intime d’Alexandre, celui qui lui sera toujours fidèle. H é phaestion naît à Pella, la même année qu’Alexandre. Fils d'Amyntas, un aristocrate macédonien, il reçoit également la même éducation que lui auprès du philosophe Aristote dans son adolescence. Il est un homme fort et beau. Certaines anecdo

Cléopâtre, son tapis et Jules César : Une Histoire d'Amour Épique et Mystérieuse qui a Bouleversé l'Empire Romain

Les amours passionnées entre la célèbre reine égyptienne Cléopâtre et le tout-puissant et charismatique Jules César forment un épisode à la fois mystérieux et envoûtant de l'histoire. Leur relation est digne des ébats charnels des dieux de l'Olympe. Au sein de leur amour naît un enfant légendaire et secret, Césarion, conférant à la reine une place singulière dans l'histoire et une renommée qui fait jaser du sénat romain jusqu'aux recoins les plus sombres de l'empire. Cléopâtre, descendante de Ptolémée Ier, général et compagnon d'Alexandre le Grand, est d'origine grecque, mais elle se distingue par son amour pour son peuple et son désir ardent de faire reconnaître l'Égypte comme la grande civilisation du monde méditerranéen, au même titre que Rome. Polyglotte, elle parle la langue de son peuple, une particularité sans précédent parmi les descendants de la dynastie des Ptolémées, qui règnent sur le trône depuis trois siècles.

Pasteur et la découverte du vaccin contre la rage

En 1879, Louis Pasteur, surnommé par René Dubos le « Franc-tireur de la science », a découvert le principe du vaccin et ceci grâce aux vacances d’été que celui-ci s’est octroyé. Tout grand esprit a besoin de repos. Le choléra des poules fait alors rage, depuis le printemps. Après plusieurs mois d’expériences infructueuses, Pasteur décide de se reposer et part rejoindre sa femme ainsi que toute sa famille dans sa maison de campagne. De retour dans son laboratoire, très détendu après ses congés estivaux, il reprend avec une grande motivation ses recherches, suivant le même procédé que celui établi jusque-là. Il inocule la bactérie du choléra sur des poules. Et il attend : une heure, deux heures. Aucune poule ne meurt. L’aiguille de l’horloge tourne et tourne pendant des heures, tout comme Pasteur dans son laboratoire. Rien ne se passe. Les poules sont toujours aussi pimpantes. Le chimiste de formation, loin d’être novice en matière d’expériences scientifiques, réfléchit : « Mais que

Hitler et Mussolini : quand l’élève dépasse le maître

En 1922, Benito Mussolini à la tête du parti fasciste italien, marche sur Rome et s’empare du pouvoir. Il transforme la démocratie en Etat fasciste. De l’autre côté des Alpes, Adolf Hitler observe ses actions. Mussolini est un modèle à suivre. Hitler organise son parti sur le modèle italien. L’année suivante, il tente lui aussi de marcher sur Berlin, pour s’emparer du pouvoir. C’est un échec. Il doit attendre les élections de 1933, pour accéder à la fonction de chancelier. La première entrevue entre les deux dictateurs se déroule à Rome en 1934. Le principal sujet réside dans la question autrichienne. Mussolini protège l’Autriche, qu’il considère comme une zone tampon face à l’Allemagne. Le meurtre du chancelier Dollfuss le 25 juillet 1934 par des sympathisants nazis est très mal vu par Rome. Mussolini envoie des troupes à la frontière, empêchant ainsi les nazis de prendre le pouvoir. Le Duce impose de par sa prestance. Vêtu de son bel uniforme, il apparaît comme l’homme fort au côté d

Aux origines de la galette bretonne

Chandeleur oblige, les crêpes sont de la partie ; et en Bretagne, qui dit crêpe, dit galette. L’histoire de la galette est étroitement associée à celle du blé noir, son principal ingrédient. C’est le parcours historique de cette céréale que nous allons retracer ici. Suivons à présent pas à pas la recette. Afin de réussir une bonne galette bretonne, accompagnons les croisés en Asie, au XIIe siècle. Après plusieurs milliers de kilomètres parcourus, des champs de fleurs roses s’étendent à perte de vue. Ce n’est pas un mirage, ni de simples fleurs d’ornement : les croisés découvrent le blé noir. Ils en prennent quelques plants, puis regagnent l’Europe avec des mules chargées de la précieuse semence. Mais le retour au Vieux Continent rime avec désillusion pour ces « chevaliers agricoles ». La culture de ce blé est exigeante et sa production reste faible. Néanmoins un espoir renaît du côté des exploitations d’une des régions françaises. Cet endroit est connu pour sa pluie :

Alexandre le Grand et Diogène: une rencontre de géant

Vous connaissez mon amour inconditionnel pour Alexandre le Grand. Aussi, aujourd'hui je vais vous conter un des épisodes qui m'a toujours marqué dans la vie du Macédonien : sa rencontre avec le célèbre philosophe cynique Diogène. De son entrevue, je crois, Alexandre en a retenu une leçon de vie qu'il essaiera, avec plus ou moins de bonheur ou de réussite, de s'appliquer tout au long de sa courte vie : l'humilité. Nous sommes en 335 avant notre ère. Alexandre n'est pas encore Alexandre le Grand et il n'a pas encore vingt-un ans. Pourtant, il est déjà craint par les Grecs... Bientôt par les Perses. En attendant, le jeune roi macédonien vient d'épater tous ceux qui doutaient encore de lui. Voilà quelques mois, son père Philippe mourrait sous les coups de couteaux de Pausanias - amant blessé - et la Grèce soumise décide alors de se révolter sous l'égide du meneur Démosthène et de la cité d'Athènes. Alexandre, fou de rage devant tant de traîtrise,

Hypatie d'Alexandrie, une femme seule face aux chrétiens

Alexandrie, ville de savoir ; ville de délices ; ville de richesses ! Et pourtant parfois, ville décadente et théâtre des pires atrocités faisant ressortir le vice animal, dénué de toute philosophie civilisatrice. En 415 de notre ère, cette Alexandrie, cité révérée et donnée en exemple, va connaître les premiers signes de sa décadence : elle assassine une des plus grandes savantes et philosophes de l’histoire de l'humanité, la belle et intelligente Hypatie. Née vers 370, Hypatie a environ dix ans lorsque l’empereur Théodose proclame la foi chrétienne comme étant la religion officielle de l’empire. Théodose met fin à un millénaire de stabilité religieuse et installe une religion qui tend à la prédominance   et qui, par l’intolérance qu’elle exerce, met l’empire en proie à des révoltes incessantes.  Moins d’un siècle suffira à le faire définitivement chuter ! Les chrétiens avaient été plusieurs fois massacrés – souvent injustement – servant de boucs émissaires quand la situation l’i

Le destructeur du nez du sphinx

Voilà bien longtemps que les hommes de la riche et nourricière terre d’Egypte le contemple. On vient également de loin pour se recueillir devant lui. Le Sphinx, cet être gigantesque que les plus grands hommes révèreront comme un dieu est un porte bonheur ! Né de la volonté du pharaon Khéphren, ce mastodonte taillé dans la roche garde depuis 2500 av. notre ère environ le plateau de Guizèh et ses somptueuses tombes : les pyramides de Khéops, Khéphren et Mykérinos. Le Sphinx parcourt les siècles avec aisance bien qu’il faille régulièrement le déterrer car le sable, inlassablement, vient le recouvrir jusqu’aux épaules. La chrétienté puis l’islam passent et le culte du dieu lion à tête d’homme s’éteint progressivement sans toutefois totalement disparaître. Les musulmans d’Egypte le considèrent tel un génie et l’admirent comme une œuvre d’art défiant la nature et rendant grâce au génie humain voulu par Dieu. Malheureusement, les belles heures théologiques, bien souvent plus intellectuelles