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Le Tour de France



Le 1er juillet 1903, soixante coureurs cyclistes s’élancent de Montgeron au sud de Paris pour effectuer le premier Tour de France.
Cette idée a germé dans l’esprit d’Henri Desgranges, dirigeant du magazine L’Auto et co-directeur du Parc des Princes. Devant la lenteur des inscriptions des coureurs, Desgranges réduit les frais d’inscription de vingt à dix francs, augmente les primes finales et instaure une prime journalière. 23 coureurs parviendront à rejoindre l’arrivée au Parc des Princes, dont Maurice Garin, vainqueur de Paris-Bordeaux, de Paris-Brest-Paris et Bordeaux-Paris. Le succès du Tour se ressent sur les ventes du journal L’Auto, qui passent de 30.000 exemplaires en 1902 à 100.000 exemplaires l’année du Tour. Cette forte hausse cause la perte de son concurrent direct Le Vélo.
Au-delà de l’aspect commercial, Desgranges souhaite montrer la France aux Français en rendant la patrie visible et vivante. Le Tour est un outil pédagogique visant à montrer aux Français le territoire dans lequel ils vivent et l’histoire commune qu’ils partagent. Dans l’esprit de Desgranges, le Tour correspond à une régénération morale et physique de la nation. Il conforte l’unité d’une nation à peine remise de l’affaire Dreyfus et toujours meurtrie par la défaite de 1870 d’où résulte la perte de l’Alsace et de la Lorraine. Ainsi entre 1905 et 1914, la plupart des villes étapes sont proches de la frontière, dessinant les contours du pays pour l’inscrire dans l’espace. Desgranges obtient même l’autorisation des autorités allemandes de passer par Metz. L’Auto exalte le sport, éducateur de la jeunesse. Le moment venu, celle-ci aura la force et la discipline nécessaire pour venger la patrie. En août 1914, Desgranges exhorte les Français à s’engager tout comme lui. Trois vainqueurs du Tour périssent au front : Lucien Petit-Breton (1907 et 1908), François Faber (1909) et Octave Lapize (1910).

Le Tour reprend en 1919 après avoir surmonté un grand nombre d’obstacles : manque de pneus, manque de carburant, manque de logement dans les villes, routes détruites ou en mauvaise état. Desgranges est ravi de voir les coureurs passer par Strasbourg, Belfort et Haguenau. Pour la première fois, le maillot jaune récompense le vainqueur. Le jaune est la couleur des pages du magazine L’Auto. En 1930, le Tour se fait l’écho des tensions politiques européennes teintées d’un nationalisme exacerbé. En effet, les équipes nationales remplacent les équipes des marques. 25 nations s’élancent de l’Arc de Triomphe. Les coureurs sont désormais précédés de la caravane publicitaire, qui apporte une manne financière importante. Vainqueur en 1930 et 1932, André Leducq, surnommé Gavroche, est considéré comme un héros national. En Italie, Mussolini célèbre la victoire de Gino Bartali en 1938. La Seconde Guerre mondiale et la mort de Desgranges en août 1940 marquent un coup d’arrêt pour le Tour. L’Auto disparaît à la Libération.

Le Tour redémarre en 1947, co-organisé par Jacques Goddet directeur du journal L’Equipe et le journal Le Parisien libéré, propriété du groupe Amaury.
Malgré les bouleversements économiques et sociaux que connaît le pays, le Tour reste ancré dans la France rurale et des terroirs. Se déroulant l’été durant les congés, il rassure les citadins qui retournent durant un temps dans leur région natale. Ce dualisme, France rurale contre France qui se modernise, se retrouve dans le duel opposant Jacques Anquetil et Raymond Poulidor. Le premier, perçu comme arrogant, distant et sans cesse pressé, symbolise la France industrielle. Le second, homme de la terre, Limousin humble et populaire, incarne les vertus de la ruralité. Avec l’arrivée de la télévision en 1952, le Tour devient un divertissement à l’heure des loisirs et du tourisme de masse. La caravane publicitaire devient le symbole de la société de consommation des années 1950 et 1960. Le retour des équipes de marques en 1962 renforce cet aspect.
Le Tour se fait l’écho des politiques de son époque. Il porte les contradictions des politiques d’aménagement du territoire, qui sont à la fois centralisées et soucieuses de prendre en compte la diversité de la province. En effet jusqu’en 1953, excepté en 1926, le départ et l’arrivée du Tour se déroulent en région parisienne. Parallèlement avant même le Traité de Rome et jusqu’au Traité de Maastricht, le Tour accompagne la construction européenne. Dès le milieu des années 1950, il dépasse les frontières en traversant l’Italie, l’Allemagne et le Benelux. En 1992, le départ s’effectue en Espagne et le Tour visite sept autres pays.

Les grands champions étrangers (Fausto Coppi, Gino Bartali, Eddy Merckx, Joaquim Agostinho, Luis Ocana) contribuent à conforter la notoriété du Tour en Europe. Ces derniers sont les porte-paroles des émigrés italiens, espagnols et portugais installés en France. A partir des années 1980, le Tour s’élargit aux autres continents. En 1986, Greg LeMond est le premier coureur non européen à remporter le Tour. Aujourd’hui, la Grande Boucle compte aussi des Russes, des Australiens, des Colombiens, des Japonais et des Erythréens.
Bien que concurrencé par d’autres tours (le Giro, la Vuelta), le Tour de France demeure la référence à l’échelle mondiale. De plus, il est une fierté nationale à l’heure où la France n’a plus une place prédominante sur la scène internationale. Même les affaires de dopage (Festina, Lance Armstrong) n’ont pas mis l’épreuve en péril.

Sources
Texte : Jean-Luc Bœuf et Yves Léonard « Les forçats du Tour de France », L’Histoire, n°277, juin 2003, pp66-69.
Image : sport.gentside.com

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